Plus d'hommes se sont noyés dans l'alcool que dans la mer. [PV Nobutatsuka]

J'ai lutté, aussi longtemps que j'ai pu. Mais quand c'est trop, c'est trop. Au fil des ans, pourtant, mon seuil de tolérance a joué au yo-yo. Il s'est étiré, a grandi, s'est stabilisé. Pourtant, mon seuil de tolérance est comme un quadragénaire marié. Il s'étire, s'étire, s'étire, et puis, il pète. Là j'en suis à la phase où il a pété. Et aussi, malheureusement, à celle où je n'ai plus de gaufrettes.

Ce n'est pour une fois la faute de personne à part moi. Je cache mes gaufrettes sous mon oreiller, sur la couchette du haut. En bas, je sais qu'il y a quelqu'un. Dàlan, si je me souviens bien. En tous cas, j'essaye de les manger quand il dort, aussi discrètement qu'un friand de Mc Donald's dans une réunion des boulimiques anonymes. Enfin, en quelques mots, j'ai eu envie d'alcool. Pas une envie simple, comme uriner après un grand verre d'eau ou dormir après un gros repas.

Ca me dévore de l'intérieur. J'en ai eu envie à un point où je me suis imaginé, d'un tas de façons différentes, verser un gobelet de Gin entre mes lèvres. J'ai eu le palet aromatisé à la vodka-fantôme toute l'heure de cantine. Et bien sûr, je n'ai eu aucune gaufrette à la vanille pour faire passer l'envie. Légèrement irrité, les traits tirés, j'ai fini par me lever à la moitié de mon assiette, pour aller vers le guardien avec l'air le moins con. Je n'ai pas grand chose. A l'extérieur, tout l'argent que j'ai eu a été confisqué en attendant la fin de ma peine.

Mais j'ai. Besoin. De ces. Gaufrettes. Je m'assois sur la chaise pas très loin, regardant droit devant, l'appelle en faisant des bruits de bouche, pour qu'il m'écoute. Ouais ben, quand j'ai pas la patience, j'ai pas la patience.

"J'ai un truc à te demander. Un truc important."

Je me lève, lui passe devant sans le regarder. Je n'ai pas envie de me prendre un taquet au passage, surtout que certains guardiens sont assez tatillons avec moi. On n'aime pas les pédophiles, même en prison. Même si je n'ai aucune idée de l'endroit où ils se sont procuré cette information. Je me glisse dans le couloir atenant à la salle de réfectoire, patient. J'espère qu'il va venir. Je commence à trembler tous les soirs à cause du manque. Si j'ai pas mes gaufrettes je vais...repasser par la période de manque la plus désagréable de ma vie.

Ce n'est pas le moment pour ça. Ni maintenant, ni jamais. Je n'ai aucune espèce d'envie de redevenir violent par dépit. C'est incontrôlable. En cure, on m'avait collé des tâches ménagères à faire pour passer mes pulsions. Mais récurer les chiottes de centaines de détenus, ça m'enchante pas vraiment. Ce serait un coup à ce qu'on me foutte le nez dedans. Non. J'ai pas envie d'aller à la salle de sport non plus, je risquerais de me faire passer à tabac. Quant aux livres qu'on nous donne ici pour décompresser... je ne sais pas. Peut-être. Mais avant, mes gaufrettes. Putain.