Un petit biscuit avec ta dose ?

Andrew était relativement satisfait. Il s’était imaginé la prison pendant toute la période suivant son arrestation et précédant son arrivée à Lancaster. Il avait pensé à toutes les horreurs qui étaient relatées dans les romans et les films. La violence, les trafics de drogue, les viols des faibles dans les douches… De par sa nature il s’était vu cible première des gangs et prisonniers imposants. Ce qu’il n’avait point imaginé, c’était l’intérêt de la réflexion dans ces lieux. En deux mois, grâce à sa ruse, il avait réussi à passer de personne en danger à quasi-intouchable.

Il avait immédiatement su vendre ses dons de biochimiste auprès du gang aryen de la prison, et le voilà assuré de protection tant qu’il arrivait à faire passer et créer de la drogue sous des formes discrètes et efficaces. Ainsi, depuis une semaine il était sur une forme totalement inédite d’héroïne, qui pourrait bien booster le marché à l’intérieur de la prison. Il venait tout juste de terminer et se promenait dans la salle commune avec satisfaction, sa nouvelle invention dans les doigts. Un sachet de thé à la couleur bleuâtre. Il n’aurait jamais cru que faire parti d’un trafic de drogues dans une prison l’aurait autant amusé. Il se rendait utile, cela lui passait le temps de façon non désagréable, et il empoisonnait doucement ces criminels. Aucun sentiment coupable ne le traversait. Il partait sur le même état d’esprit que son grand père. Parfois, il fallait purger la racaille pour rendre le monde meilleur.

Ainsi il se voyait comme le défenseur d’un monde meilleur, avec moins de criminels dans les prisons, et donc moins de criminels qui risqueraient d’en ressortir pour commettre de nouveaux crimes. Il savait que personne n’était à l’abri de l’overdose. Il ne tuait personne, mais il y contribuait en quelque sorte. Certes il était l’un de ces monstres qu’on avait balancé en prison, il ne valait pas mieux qu’eux, mais il se rachetait à sa façon en purgeant le monde des mauvais hommes. Il se voyait comme un homme changé et meilleur. Il fallait bien s’accrocher à quelque chose lorsqu’on se savait condamné entre quatre murs pour le restant de ses jours. Et puis avant d’être le sauveur de l’humanité, il était avant tout quelqu’un qui s’occupait comme il pouvait grâce à ce passe-temps de petit chimiste. Cette occupation lui permettait de se vider l’esprit et se détendre.

Il se sentait bien et avait même pu réduire sa dose de médicaments, ce qui lui permettait d’être en bien meilleure possession de ses moyens et de ses esprits. Alors oui, il était relativement satisfait de ce petit sachet de thé qu’il tenait dans sa main.

Il fallait absolument qu’il le teste sur quelqu’un, histoire d’être sûr que son produit était de qualité et que les effets étaient au rendez-vous. C’était le mot d’ordre de la drogue. Commencer avec un produit pur et de bonne qualité, et une fois la clientèle conquise et accro, le couper avec de la merde pour augmenter les bénéfices. Oui, ce genre de commerce était passionnant. Il se sentait comme dans un bon thriller.

Il s’assit à une chaise en commençant à jouer avec ses cheveux. Sa tenue le démangeait. Il regrettait ses vêtements en coton si doux et si colorés… Le orange de la prison lui donnait la nausée tellement la couleur était laide. Si seulement il pouvait récupérer un de ses hauts… Il pourrait le mettre en douce le soir. Il soupira et jeta un regard autour de lui pour chercher son premier cobaye. Il regarda alors qui avait une tête de drogué typique et qui n’était pas bien fort pour éviter des représailles douloureuses. Il avait réussi à rester en un seul morceau depuis son arrivée, il comptait continuer sur cette voie. Son regard s’arrêta sur quelqu’un à quelques mètres de lui.

Oui, son physique étrange mis à part, il avait la tête parfaite du mec paumé cherchant sa dose journalière. Il était tout de même minuscule ! Ce type avait vraiment l’âge d’être en prison ? Quoi qu’il arrive, Andrew n’avait pas été bien discret et ce type s’approchait de lui. Sa façon de parler aussi était étrange. A croire qu’il était vraiment hors du commun. Mais peu importe, hors du commun ou non, un consommateur restait un consommateur. Ainsi il le regarda avec calme et intérêt.

- Pourquoi je te regarde ? Parce que tu as attiré mon intérêt.

Autant être franc, il avait besoin d’un cobaye pour être sûr des quantités optimales, des potentiels effets et la rapidité d’addiction au produit. Il l’observa rapidement plus en détail, de ses gestes, ses mimiques, du moindre détail corporel pouvant trahir un consommateur de drogues. En cas d’échec ou surdosage entrainant la mort, ce ne serait pas une grande perte, comme la majorité des potentiels cobayes dans cette prison.

- Dis-moi, Noah. Est-ce que ça te dirait de tester une nouvelle forme de drogue ?

Il laissa pendre par la ficelle entre ses doigts le sachet de thé bleuâtre, sa petite merveille parfaitement discrète et -il l’espérait- puissante. Bien évidemment, il ne l’avait pas essayé. Il ne pouvait se permettre de tomber dans l’addiction, dépendre de quelqu’un et risquer de devoir faire des choses dégoutantes pour éponger ses dettes.

- C’est tout nouveau, je t’offre ce petit sachet, et je te demanderai juste en échange, de me faire part de tes impressions sur ce produit. C’est à la violette, ça se marie parfaitement avec des petits sablés.

Bon, il fallait surtout espérer que ce type aime le thé. Mais du moment qu’il y avait une drogue dure à l’intérieur, cela devrait s’écouler rapidement non ?  On avait bien réussi à inventer les spacecakes. Il attrapa une grosse mèche de cheveux entre ses doigts et commença à l’enrouler et la dérouler, attendant la réponse de l’homme, tout de même un peu anxieux. Pour lui son idée était bonne, mais qu’en était-il de la réalité ? En serait-il comme il l’avait espéré ?

Andrew s’autorisa un sourire amusé. Ce détenu était plutôt chou, il se demanda comment il avait pu atterrir ici. Peut-être des violences suite à la consommation de drogue, ou autre chose en rapport avec la poudre et l’herbe magique. Voilà que le jeune chimiste faisait dans le mielleux. Il se ressaisit. Il n’aimait personne ici et la mort de n’importe qui ne l’intéressait nullement. Un cobaye restait un cobaye.

- Voilà, ça se boit exactement comme du thé normal. Par contre je n’ai aucune idée du goût que ça pourrait avoir. Il va falloir me le décrire.

Le goût aussi était important. Si la première gorgée n’était pas convaincante et empêchait de boire la suite, la drogue ne pourrait pas agir correctement et ne rendrait pas dépendant. Ainsi il voulait soigner au maximum la présentation de cette nouvelle drogue. Il laissa le détenu lui chiper son sachet, plutôt satisfait de le voir enthousiaste. Au moins cette forme ne rebutait pas le consommateur aguerri. Autant il avait été un brillant biochimiste, autant la fabrication de drogues était complexe et méticuleuse, surtout mélangée pour passer inaperçue ou être originale. Il avait l’impression de faire de la cuisine. Il repensa à l’autre prototype qu’il conservait dans sa cellule et ce dit que c’était d’autant plus vrai.

- Je sais, je suis dans mon jour de bonté, je te fais ça gratuitement. Allez, je te suis.

Il avait une tête à demander ce genre de paiement ?? Pitié, ce genre de choses rebutait le blond plus que tout. Cela en contentait peut-être certains, mais lui préférait l’argent ou la satisfaction d’avoir réussi à ruiner des vies. Il l’incita d’un mouvement de main à le mener où il le souhaitait pour tester son sachet.

Il avait hâte de commencer le test. Son petit carnet de notes et son stylo attendaient sagement dans la poche de son horrible combinaison jaune et il s’impatientait de pouvoir les sortir. Il comptait bien sur le succès de ce petit sachet, ainsi il pourrait les faire rentrer dans la prison bien plus facilement et se permettre plus de marge à la revente. Il voulait honorer ses engagements envers son gang afin de purger paisiblement sa peine. La moitié des détenus ici l’exaspéraient au plus haut point. Sauf ce petit Noah. Même s’il n’était pas Allemand et Aryen, il le trouvait chou comme tout. Peu importe son âge ou le motif de son emprisonnement. Il avait bien choisi son premier cobaye. En espérant qu’il ne lui saute pas à la gorge à tout moment.