Ca fait déjà trois semaines que je suis arrivé, et je le connais aussi peu que si c'était la première fois que je le rencontrais. Je sais qu'il ne se lève pas la nuit pour pisser, qu'il se racle la gorge comme un vieux marin, et qu'il devrait manger moins de céréale parce que son urine et très odorante. Je sais aussi qu'il n'aime pas les hommes ni les homosexuels. Mais à part ça, je n'ai toujours pas adressé la parole à mon colocataire.
Il faut dire que, étant données les circonstances, j'ai voulu me montrer discret. Le moins j'ai d'interactions avec les autres, le plus j'ai de chance de survie. Je ne suis pas latino ou noir, je ne suis pas caucasien non plus. Je ne fais partie d'aucun gang et je n'ai d'appartenance à relativement aucun groupe. J'ai failli me faire accidentellement des amis musulmans lorsqu'ils ont vu que, moi non plus, je ne mange pas de porc mais, ce n'est pas exactement une relation sincère.
Si je dois passer les cinquante prochaines années de ma vie en colocation avec le rouquin - superbe sa couleur. Si elle est naturelle, je suis jaloux - je pense qu'il faut que je commence par ouvrir le bal. J'attends que ce soit l'heure du quartier libre, et d'être sûr qu'il ne dort pas, puis je descend au pied du lit, tire la chasse d'eau où il reste du papier flottant - au moins, on a du papier... - pour me pencher à sa hauteur.
Je dois afficher le sourire le plus crispé de toute mon existence. Je suis aussi à l'aise que si je devais faire la démonstration du montage d'un plan anal à une dévote catholique. Je me racle la gorge, pour attirer son attention.
"Hé, Dàlan."
Le "an" racle contre le fond de ma gorge, lui donnant un accent beaucoup trop slave à mon goût. Quel accent pourri. Voilà ce qui résulte de faire en sorte de ne pas parler devant les autres. Je me penche, pour traîner deux cartons de pizza vides et tachés chipés dans les poubelles quand j'étais de corvée. Sans doute de guardiens. Enfin, ça fait un plateau de jeu intéressant, même s'il reste du fromage qui a moisi.
"Ca te dirait, une bataille navale ?"
Je lui secoue sous le nez un sac en papier journal où sont entassés des morceaux de carton et des lentilles de deux couleurs différentes. Quoi, je n'avais pas franchement les moyens de me payer un bataille navale en ivoire et diamant. J'ai fait avec les moyens du bord, et encore, j'ai dû troquer une cigarette conte les lentilles. Je m'efforce de lui adresser un regard moins...perdu que d'ordinaire. Je sais que j'ai l'air d'un violeur d'enfant. Avec la fatigue et les cernes qui s'ajoutent à ma peau blanche, je suppose que ça ne s'arrange pas.
J'espère simplement qu'il n'est pas violent. Avec son cache-oeil et ce qui doit se trouver en dessous, il ne doit pas être des plus affectueux. Si j'ai de la chance, il grognera en se pliant au jeu. Si je n'en ai pas... et bien, je n'ai pas encore eu l'occasion de visiter l'infirmerie. Hauts les coeurs, tout est une questions de feeling. Promis, je ne mords personne... enfin, pas trop fort.
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