Mais au fait, elle est propre cette moquette ?

La salle de divertissement était prétendument réservée aux gens sages et par chance, Jay l'était toujours. Enfin presque. En tout cas, il était bien plus souvent ici qu'en isolement. D'ailleurs, avait-il seulement déjà visité l'isolement une seule fois depuis son arrivée ? Il nous est permis d'en douter. Jay était un gentil détenu : "Oui monsieur, bien monsieur". Comme un enfant sage, il faisait parfois des bêtises et il lui arrivait d'être un peu moins obéissant mais pas de quoi le mettre dans le collimateur des gardiens. Sauf dans celui d'Anderson. Grr, Anderson...

La moquette de la salle de divertissement était épaisse. Était épaisse, au sens où elle l'était probablement il y a une dizaine d'années. Depuis, les allées et venues des détenus l'avaient salement amochée mais comparée au béton ou au carrelage du reste de la taule, elle était encore vachement agréable à sentir sous ses semelles. Ça donnait presque envie d'y marcher pieds nus. Presque...

Jarod était appuyé en position d'assis-debout sur le baby-foot inutilisé pour le moment et méditait sur cette moquette. Est-ce qu'elle était propre au moins ? Il se souvenait avoir plusieurs fois entendu un aspirateur être passé ici et c'était déjà pas mal mais est-ce qu'ils la shampouinaient parfois ? Il avait envie de retirer ses chaussures... Avec la chaleur estivale déjà de retour, il commençait à se sentir à l'étroit dans ses baskets mais marcher pieds nus en prison, c'était jamais une bonne idée. Pas besoin de tenter l'expérience pour le savoir. Nan, il devrait faire ça - outre les dans les douches - dans l'espace vert de la cour ou bien ici. Après examen de l'espace vert, il avait trouvé trop de corps étrangers non-identifiés dans l'herbe pour avoir envie d'y mettre les pieds, littéralement. Et cette moquette avait l'air engageante mais il doutait.

Finalement, constatant qu'il n'y avait pas grand monde - la majorité des détenus devaient être dehors pour profiter du beau temps - il se pencha pour se déchausser. Il ferait gaffe où il posait les pieds et au pire se choperai une mycose... Laissez moi vous dire qu'il allait surveiller de près l'état de ses pieds les prochains jours et filer à l'infirmerie au premier signe suspect ! Mais bon, il n'en avait pas chopé dans les douches, alors pourquoi ici ? Les pieds enfin à l'air libre, il agita les orteils en souriant. Ça faisait du bien...

Il quitta le baby-foot pour faire quelques pas, les yeux rivés sur le sol, et se dirigea vers un des sièges devant la télé. Il ne comptait pas la regarder, juste s'asseoir. De toute manière le film de la semaine c'était Fast and furious il-savait-plus-combien et il l'avait déjà vu. Il tenait ses chaussures et chaussettes à la main et, après avoir vérifié que personne ne pouvait le voir faire, il y respira un petit coup. Juste pour être sûr... Nan, il puait pas des pieds lui.

Eliott tourna la porte et entra.
La pièce avait des allures de garderie défraichie. C'était propre tout en conservant des traces inenvisageables de saletés. Des traces noires étranges s'étalaient sur les murs recouverts de papier peint bleu. Sans doute un goût tiré des années soixante là où il faisait justement preuve d'absence. La seule chose au final, froide mais propre... C'était la moquette.

Eliott la racla du talon de sa chaussure. Elle était encore assez épaisse bien que ternie. Aucune poussière en tout cas ne volait à son contact et c'était bien le seul élément qui donnait à cette pièce un aspect feutré propre.

C'était la première fois que le détenu entrait ici. Il avait l'habitude d'aller plutôt en bibliothèque ou bien dans sa cellule. Pendant les beaux jours bien sur il flânait dans le jardin en fumant pas mal de cigarette, regardant avec dégout tous ces hommes se gonfler à coups de testostérone.

Vu le rafraichissement de la saison, il était temps de tester d'autres choses. Cela faisait moins d'un an qu'il était ici et comme une souri, il connaissait par cœur ce gigantesque labyrinthe. Alors il s'était enfin décidé à aller ici. Cette "salle de jeux" lui rappelait celles qu'il détestait du temps de ses études... Pleines de bruits. On y trouvait trop d'activités prises toujours par les mêmes. Des activités idiotes d'ailleurs qui attiraient donc les plus faibles d'esprits. CQFD... Comme ce babyfoot par exemple...

Pourtant, étrangement, aujourd'hui personne n'était là. Eliott percevait juste une ombre assise devant une tv tonitruante. Elle était dans un canapé raboté mais d'allure moelleuse.

Ne trouvant rien de mieux, le garçon haussa les épaule et vint se laisser tomber à coté du jeune homme. Il était blond, plutôt mince, les yeux rivés mais vides sur un film à grande sensation assez idiot remplis de BIM de BAM et de BOOM... C'était la première fois qu'Eliott le voyait.

Hésitant un moment, il saisit la télécommande et demanda avec précaution:

"- Ca vous dérange si je change de chaine?"

Il valait mieux rester polit. Avec les aliénés et les détenus violents, Eliott avait appris que les plus inoffensifs pouvaient être en fait de vrais tigres.

Jay resta seul de nombreuse minutes avant l'arrivée d'Eliott. Il se détendait, profitant du calme et du confort de la pièce. Le canapé n'était pas si défoncé que ça et même s'il aurait aimé avoir la motivation de se relever pour baisser un peu le son de la TV, la musique et les bruits de moteur ne le dérangeaient finalement pas tant que ça. D'ailleurs, il fini par regarder le film d'un oeil, parce que le mouvement attire toujours l'attention, même de celui qui se détend.

Il avait posé ses chaussures et ses chaussettes à ses pieds et tendu les jambes devant lui.

Quand Eliott franchit la porte, Jay se tourna un peu pour voir qui arrivait. Il ne le connaissait pas mais espéra que ce n'était pas un enquiquineur. Sa Majesté se sentait bien et n'avait pas envie que ça change. Néanmoins, parce qu'on était pas dans un salon de thé, il le salua pas et se désintéressa de lui, posant de nouveau son regard sur l'écran.

Du moins jusqu'à ce qu'il vienne se laisse tomber près de lui et lui adresse la parole. Alors, Jay le regarda de nouveau, plus attentivement cette fois, et haussa les épaules.

"Non, du moment que ce n'est pas pour mettre une chaîne de sport. Et pendant que vous avez la télécommande, vous pourriez aussi baisser un peu le son... S'il vous plait"

Il ne fallait pas oublier d'être poli au premier abord. Un peu gêné d'être pied nu en public, il se décida à renfiler ses chaussettes. De nouveau, il jeta un œil à Eliott. Il l'avait déjà vu en fait, mais ne le remettait pas. Jay était ici depuis un peu plus d'un an et demi et fréquentait à la fois tout le monde et personne en particulier. Il l'avait probablement vu en compagnie d'Haydhaann mais ne pouvait pas remettre le doigt dessus.

"Je ne crois pas qu'on se connaisse, si ?"

Jay avait un accord de protection avec Haydhaann et son gang mais c'était loin de vouloir dire qu'il les connaissait tous.

Eliott savait pertinemment que le jeune homme à sa droite le dévisageait. Il fit mine de ne pas s'en soucier et commença donc à zapper après avoir eut l'autorisation froide de son collègue.

Un chaine de sport? J'ai une tête à regarder le foot?

Docilement Eliott se leva en aquiescant silencieusement à sa requête et tourna le bouton jusqu'à ce que le brouhaha de la télévision se transforme en quelque chose de net et agréable. Les derniers occupants avaient du vouloir transformer la pièce en cinéma à petite échelle car le son était catastrophiquement nocif et le détenu s'étonnait que son compagnon de hasard ait pu supporter cela un moment. Peut-être était-il si fainéant qu'il préférait perdre quelques points d'audition que des calories.

Profitant de sa question, il se mis à son tour à l'inspecter. Il était blond, fin, assez maladif non? Ou peut-être cette prison donnait-elle cet air à tous. En tout cas l'impression dont il était persuadé, c'était cette petite suffisance timide qui se dégageait de son vis à vis. Mais heureusement pour Heliott, il n'avait pas l'air dangereux. Il donnait même l'impression d’être à cheval sur la tenue car Higgins avait remarqué son empressement à remettre ses chaussettes dés son entrée comme un enfant pris sur le fait du bêtise.

"-Non je ne crois pas... Ça fait un an que je suis ici et je ne pense pas vous avoir croisé... Je m'appelle Eliott"

Le détenu prenait soin de ne plus donner son nom de famille afin de ne pas se faire assimiler à son cinglé de frère. Mais parfois sa réputation l'avait déjà précédée.

Il tendit une main sereine mais assez modeste, tentant le coup, cherchant à voir si l'homme était sociable, et, par le même coup, zappa sur une chaîne de reportage à propos des pays indiens et leur fêtes.

N'importe qui peut avoir une tête à regarder le sport, surtout en prison. Soyons lucide, la majorité des mecs, ici, n'étaient pas du genre à regarder des documentaires. Ils préféraient de loin le sport, les émissions de tuning et ce genre de trucs virilement compensatoires. D'ailleurs, Jay attendit de voir quel programme Eliott allait choisir et fut surpris que ce soit un reportage d'ethnologie. Ce mec, c'était une tête ou il voulait juste se la péter ? Le bouton de cette chaîne, sur la télécommande, devait être encore neuf avant qu'Eliott n'appuie dessus !

Parce que les pieds étaient des parias, Jay avait préféré remettre ses chaussettes. Lui, il aimait bien ses pieds. Il aimait bien les pieds en général même, à condition qu'ils soient propres et pas trop poilus. Mais chut, c'était son secret. Même s'il aimait bien, ça n'avait rien d'un fétichisme et il détestait qu'on se fasse de fausses idées sur lui. Sauf, évidement, si embobiner était précisément son but. Bref.

Quand l'autre se présenta, il se redressa et répondit à la main tendue, la serrant avec une fermeté correcte.

"Jay. Un an ? On s'est forcément déjà vus alors, je suis ici depuis plus longtemps..."

Plissant les yeux, il détailla son visage en essayant de se remémorer.

"Oh oui ! Tu es avec Haydhaann, c'est ça ?"

Par contre, Jay ne connaissait que très peu ceux du sous-sol. Le nom d'Eliott ne lui aurait rien dit du tout. Il se pencha pour remettre également ses chaussures et jeta un œil à la télévision.

"La pauvre... Elle ne doit pas voir ce genre de programme très souvent... Je ne sais pas si ça lui fait plaisir ou, si au contraire, ça la perturbe !"

Il se mit à rire doucement de sa blague. Comme si la télé pouvait avoir un avis sur ce qu'elle diffusait... Si cela avait été le cas, la pauvre serait sûrement entrée en dépression depuis longtemps !

HRP:

Ce garçon connaissait sonboss? Réellement? C'était assez surprenant Non pas tant que cela en fait, étant donné que tout se savait en prison... Eliott retint donc l'information au cas, des fois qu'il faille mettre le dénommé Jay dans ses petits papiers ... Ou pas.

Poliment, il aquiesca et sourit sans aucune arrière pensée.

Tandis que le détenu se rhabillait, Eliott se concentra à nouveau sur l'émission qui montraient alors les différents moyen de communiquer avec les esprits. Sa concentration fut vite interrompu par le blondinet qui tenta un trait d'humour sur la télé et les passions douteuses des occupants de cette prison.
Cette remarque bien qu'évidente le fit sourire à nouveau, plus franchement cette fois-ci , lui échappant un rire discret même qu'il dissimula derrière sa paume de main.

"- Je pense que la chaine culturelle a mieux tenu que la chaine éducative..." rebondit-il en imaginant les gorilles du milieu carcérale casser le bouton de la chaine 24 qui apprenait les langues, les situations boursières et le reste de tout ce qui pouvait servir dans la vie des gens intègres, cultivés et pompeux.

Leur rire en commun détendit l’atmosphère donc et ce fut naturellement, et ce malgré le fait que ce blond débraillé semblait avoir une relation intime avec les appareils électroniques, que le détenu proposa un peu d'humanité en lui tendant la télécommande.

"- Quelle chaine voulez-vous regarder Jay?" il réfléchit "C'est le diminutif d'un nom ou alors votre prénom tout court?" demanda-t-il curieux en passant chacun de ses bras derrière le dossier du canapé, se mettant à son aise.

Les détenus même d'un milieu commun parlaient rarement entre eux. Étant donné que celui-ci avait l'air "raisonnable", Eliott était naturellement intéressé par ce nouveau spécimen sans aucune mauvaise arrière pensée. Tout d'abord, n'importe qui cherchait de la compagnie, c'était humain que de vouloir vivre en meute. Ensuite, le rapprochement permettait de faire passer beaucoup plus vite les longues heures qui tournaient inlassablement derrière les barreaux. Si on ne cherchait pas le contact, on finissait comme les fous qui étaient là. Eliott n'aurait su dire pourquoi mais Jay paraissait être un bon choix de sociabilisation.

A son arrivée en prison, Jay n'en menait vraiment pas large. Mais il n'avait jamais été du genre à se plaindre sans rien faire alors il avait observé, appris et compris. Il ne lui avait fallu que quelques semaines pour aller de lui-même voir les chefs de gang, Haydhaann et Raven, pour leur proposer des marchés. Ses faveurs sexuelles en échange de leur protection. Il avait proposé ça aux deux sans se soucier de leur rivalité, doutant de devenir un jour un enjeu dans la gueguerre qu'ils se menaient. En revanche, s'assurer la coopération des deux principaux caïds était un rempart efficace contre les autres. Ses faveurs, s'était sa mise de départ. Finalement, les termes finaux étaient un peu différents mais le résultat était bien celui qu'il avait espéré. Il n'avait pas été à l'abris de quelques agressions mais il devinait que sans ces accords, il aurait la vie bien plus dure.

Il rit avec Eliott quand celui-ci compara les chaînes éducative et culturelle. Mais quand il lui tendit finalement la télécommande, Jay leva une main pour gentiment la refuser.

"Oh, je m'en fiche environ totalement. La télé, ça n'a jamais été trop mon truc. Ca a l'air sympa ça... " fit-il en jetant un oeil au documentaires. Mouais, des mecs en pagne qui boivent un truc chelou, sans doute à base de LSD bio, pour parler à des esprits, en fait, c'était pas trop sa came non plus. "Ou pas... Mais ça m'est égal." finit-il en haussant les épaules.

"Jarod. J'm'apelle Jarod en fait. Et toi c'est Eliott, c'est ça ?" Il lui semblait bien que c'était le nom qu'il lui avait donné tout à l'heure. "Mais tutoie moi, pitié ! On est pas au Country Club !"

Ca ne l'avait pas choqué tout de suite mais Eliott continuait à le vouvoyer et à force, il l'avait remarqué. C'était courtois au moins, Eli avait ça pour lui et Jay savait l'apprécier. Mais bon... Il soupira.

"C'est drôlement calme aujourd'hui..." Il pivota pour regarder le reste de la salle. "On est seuls, c'est plutôt rare..."