• Nightmares || PV Asher Weavers. [Clôturé]

Deux ans. C'est un peu comme un chiffre qui s'illumine dans le noir et clignote sur ton plafond. Deux, c'est pas grand chose, mais quand tu le transformes en nombre de jours, ça devient tout de suite beaucoup plus difficile à concevoir, enfin, dans mon cas, à accepter. Mais c'est pas vraiment comme si j'avais le choix. Et depuis quelques heures, je suis profondément incapable de trouver le sommeil. Mes pensées défilent, se succèdent les unes aux autres. Je soupire. J'ai changé de position au moins quinze fois, en vain. Morphée a décidé de me présenter ses adieux et a déposé ses valises devant les grilles. Je me recroqueville sur mon lit. Mon colocataire semble dormir comme un loir. Tant mieux pour lui. Il n'est pas là depuis très longtemps et je ne peux pas réellement dire que nous avons eu de grandes discussions philosophiques. C'est juste un gamin, peut-être un peu plus âgé que moi physiquement mais pas dans la tête. Il n'est pas forgé. Du moins je n'estime pas que. C'est peut-être d'avoir passé autant de temps dans la testostérone qui me fait cet effet... Ou alors je suis juste trop prétentieux.

Mes songes dérivent jusque mon passé que j'ai laissé à l'entrée de la prison il y a quelques années. Je froisse les draps entre mes doigts. J'ai ma propre image qui s'impose à moi comme une fatalité : lorsque je me regardais dans le miroir en pied, le corps blessé, mutilé, couvert de suçons, de griffures et autres blessures. J'étais frêle, incapable de m'opposer à qui que ce soit. Mais je n'avais, en même temps, pas envie de me défendre étant donné que je pensais être aimé. Je ris doucement, étouffé contre l'oreiller. Plus j'y pense, plus ça me semble complètement ridicule. Comment ai-je pu croire, pendant toutes ces années, que j'étais apprécié ? Je n'étais qu'un sac à foutre, rien d'autre. Et alors que les larmes ont commencés à couler, McKenzie s'éveille de son doux rêve. Merde. Je me mords l'intérieur de la joue, me fais violence pour arrêter de chialer comme une gonzesse. Je le laisse se lever sans bouger de ma couchette. Et dans cette optique je me rends compte que j'ai cessé de respirer. Je reprends donc ma respiration quand je me tourne dans sa direction. Il est assis misérablement contre le mur, semblant avoir transpiré sang et eau dans son sommeil. Il n'est pas tout blanc après tout... Mais il est vrai que de mon côté, je ne regrette en rien ce que j'ai fait. Aucun mauvais rêve à ce sujet n'a été fait durant ces mois passés ici. Ou peut-être a-t-il rêvé d'autre chose ? Ouais, mais dans ce cas-là, il ne serait pas aussi perturbé. Enfin je pense. Et d'ailleurs ce n'est peut-être même pas un rêve qu'il a fait mais qu'il ne s'est tout simplement pas senti bien. Je le toise, un long moment dans le silence de la prison.

Puis je me redresse en me raclant la gorge, les idées très peu claires. Un peu comme si une nuée d'insectes grouillait autour de mes idées. Je m'avance un peu sur mon lit et descends mes jambes sur l'échelle. Je devrais dormir, on sera debout dans trois heures. Mais je n'en ai pas envie, pas plus que de me lever tout à l'heure. Je n'approche cependant pas de Law, je reste en suspension sur mon échelle, le cul sur le rebord de la couchette. J'élève la voix, mais pas trop non plus. Les gardiens seraient furieux : « - Hé bien ? On ne dort pas ? ».

Un coup d’œil au réveil placé sur la tablette en bois suffit à m'indiquer l'heure. Il est tardivement quatre heures du matin avec deux minutes en supplément. Mon approximation avait été bonne. J'en reviens à toiser mon co-détenu, la fatigue au fond des yeux. Il ne semble pas vraiment en forme avec ses cheveux collés au front, et je décide de descendre de mon échelle pour m'en aller vers le lavabo contre lequel je m'appuie un moment, le regard baissé sur la bonde. J'ai la sensation qu'on m'aurait tartiné de la farine sur la gueule. Je suis épuisé, mais le sommeil me fait toujours défaut et je pense être condamné à veiller jusqu'à ce que l'aube se pointe. Je soupire, contre moi-même, tout en écoutant les paroles de Law. Il semble troublé. De quoi, je l'ignore, mais sa voix est hésitante depuis tout à l'heure. J'ouvre le robinet et laisse couler un filet d'eau que je viens à me passer sur le visage. Le frais me fait du bien, mine de rien, et je referme la vanne.

Vaguement plus réveillé que la minute précédente, je m'en retourne vers McKenzie, m'appuyant toujours contre la vasque. Il s'est davantage recroquevillé, comme un enfant après un terrifiant cauchemar. Il me ferait presque de la peine, je me dois de l'avouer. Mais le sentiment de compassion a su s'envoler bien avant que je ne l'apprivoise. Quelque part, c'est triste à l'admettre. Je m'approche donc du rose sans un traître mot et prend place juste au dessus de lui, les mains à plat contre le béton du mur, le visage baissé vers lui. On pourrait presque croire qu'il s'apprêterait à me faire une fellation. L'image est assez drôle mais peut-être trop réaliste pour moi, surtout que je ne suis vêtu que d'un boxer blanc. Et je sais que si je me baisse pour être à sa hauteur, mes jambes ne me relèveront pas. J'inspire une nouvelle fois, les poumons encombrés. J'ai envie d'une clope, là, tout de suite. Mais je sais que si je sors mon paquet de mon casier je risque non seulement de me le faire prendre mais d'en plus de déclencher l'alarme incendie. Je ferme les yeux et je me crois partir un court instant vers Morphée. Merde, il m'a parlé : « - Ça fait longtemps que quoi ?... » Je peine à garder les yeux ouverts, et surtout à avoir l'esprit clair. Oh puis, va chier. Non, pas lui, mais tout ce qui m'empêche de pioncer. Je lâche le mur pour me tourner vers le lit de Law, et m'affaler dessus. Je fais peut-être du bruit mais, peu importe. Je ferme les yeux, l'esprit totalement embrumé sous le parfum de McKenzie. C'est qu'il sent bon, ce con. Oui, je suis assez gonflé pour prendre place sur son pieu mais j'ai besoin de sentir une autre odeur que la mienne. Même s'il s'agit de celle d'un mec que je connais que depuis quelques jours.

Je ne l'entends déjà plus lorsque je pose ma tête à côté de l'oreiller, quelques mèches faisant office de serpent sur les draps blancs. Je n'aurais pas dû veiller jusque tôt mais ça n'a plus d'importance à présent. La voix de Law est désormais bien loin dans mon esprit, et elle se mélange à diverses choses au sein de mon crâne. Mais une petite idée, un sentiment apparaît comme une vieille ombre. Je suis sur le lit d'un type que je n'aime pas. De ce même homme qui m'exaspère à attirer l'attention de tous les mecs de cette prison. J'en crève de jalousie et je suis là, dans son pieu, à m'endormir comme un pauvre con. Ca se tord en moi, comme un putain de serpent qui s'enroulerait autour de mes viscères. Alors j'me redresse, la gueule enfarinée et je toise celui qui porte des cheveux roses. Il me dégoûte. Il n'y est pour rien, hein, mais il m’écœure avec sa gueule à faire bander un impuissant. Il me demande ce que je fais là. J'analyse vaguement la situation mais les rouages dans ma tête se bloquent et grincent. Ou alors je suis juste un peu fou : « - J'en sais rien, j'me suis trompé d'lit. »

Je quitte son lit. Je le déteste en silence pour empiéter sur ce que j'ai tenté de construire en cet endroit. Ca en relève de la pitié d'être envieux d'un mec qui est là depuis trois jours. Je me foutrais bien de ma gueule si j'avais pas envie de m'en coller une. J'ai simplement pas bougé mon cul depuis deux ans et je mérite amplement cette bonne claque. Je délaisse les draps de mon colocataire et saisis l'échelle à deux mains pour grimper sur mon propre matelas. Les idées tournent et j'ai l'image de moi au beau milieu de gens qui me pointent du doigt, et qui se mettent à rire. Je fourre les doigts entre mes cheveux et serre à m'en faire mal à la peau crânienne. J'ai pas envie de penser, ni à lui, ni à personne. Puis, entre nous, s'il a du succès c'est bien que pour une partie de jambes en l'air, non ? Peut-être pas en fait. Je suis simplement pas assez intéressant pour attiser ces messieurs. J'esquisse un sourire. Ou alors ce sont juste que de pauvres bites sur pattes et je mérite mieux que ça. Après tout, il n'y a quasiment que des psychopathes à la California State Prison, et ils ne sont bons qu'à penser à ça. He merde, j'ai plus du tout envie de pioncer avec tout ça. Et l'autre en bas va me prendre pour un fucking  bipolaire. Qui plus est, l'envie d'une bonne Black D. commence à gratter au fond de moi. Je me redresse encore, lâche mes cheveux et place mes jambes en tailleur : « - Qu'est-ce que t'as fait pour te retrouver ici, boule de geisha ? ». Petit surnom affectif, ouais. Mignon, non ?

La réaction à ma petite provocation ne tarde pas à se faire sentir, et j'ose un sourire en sentant le poing de Law s'abattre mollement contre les lattes du lit. Derrière ses airs de grand paumé du désert, je devine McKenzie comme étant quelqu'un d'un peu trop entier. Et entre nous, malgré les deux ans d'incarcération qui nous séparent, je sais qu'il est entièrement capable de rattraper son retard. Parce-qu'apparemment, sieur pink'hair se serait adonné au viol... Mes yeux se ferment de moitié. Cet homme ici présent ne vaut guère mieux que mon paternel crevé et enterré. Je me tais, et décide de ne pas lui répondre. Non pas que je risque de descendre pour lui fracasser la boîte crânienne, mais c'est une probabilité encore trop élevée. La personne qu'il a violé est morte. Et quelque chose vient à me dire qu'il ne s'agissait pas d'une personne coupable. Qui plus est, l'information commence à tourner dans ma tête. Ma vision de lui change du tout au tout. Je ne l'aurais pas vu ainsi, je ne l'imaginais pas capable de ce genre d'atrocité. Mais les apparences sont trompeuses, et moi-même, j'aurais forcément dû le savoir depuis deux ans. Je souris, faiblement, pour moi-même, et me recouche.

Je me rends compte que j'ai même ignoré son surnom. Je crois que la jalousie que j'éprouvais envers lui, aussi forte était-elle, s'est soudainement transformée en profond dégoût. Comment pourrais-je être jaloux de ce genre de personne ? Cela dit, je ne suis pas sûr de mon hypothèse, peut-être cette personne lui avait-elle fait du mal. Mais, quand bien même. J'inspire grandement. J'ai besoin d'en avoir le cœur net et je ne quitte pas ce ton désintéressé dans ma voix : « - Pourquoi l'as-tu violé ? ». Le sommeil me gagne progressivement et je doute de pouvoir entendre sa réponse, même si elle viendra, ou non d'ailleurs, d'ici quelques secondes. Et à vrai dire, même s'il me fournit des explications plausibles, je doute de pouvoir lui faire confiance de par mes expériences passées. Ici, c'est chacun pour soi.