Tout petit Moineau
Je me suis glissé dans le lit du haut pour une fois. C’est rare que je fasse ça parce que je suis trop grand pour le lit du haut. Je me cogne sans arrêt au plafond, du coup je reste généralement sur le lit du bas. Et puis je suis plus habitué à ça. Mais aujourd’hui non, parce qu’aujourd’hui je réponds à mon courrier. J’ai reçu une lettre de Orthense dans la semaine, je suis content parce que Orthense elle a réussit ses études, elle a réussit sa vie, elle a réussit à avancer et à sortir de la merde dans laquelle on vivait quand on était gosses. Elle m’a raconté dans sa lettre qu’elle était maintenant professeur de Français, et d’Espagnol. Elle a toujours été une surdouée en langues. Je me souviens que déjà gamine elle essayait d’apprendre le Français, parce qu’elle disait que le Français c’était classe, c’était Paris, c’était beau. Mais tout ce qu’elle avait à la maison, c’était les bases de Français de notre mère, Sénégalaise de naissance et du Créole de notre père Guadeloupéen. Beau mélange, mais tout ça, ça ne fait pas un bon Français.
Enfin, toujours est-il qu’elle s’en était sortie. Elle vit maintenant au centre ville de Los-Angeles, elle est en couple avec un jeune homme très gentil d’après ce qu’elle raconte. Elle aimerait se marier avec lui, mais elle hésite encore sur l’engagement. Du coup ils ont adopté un chien, un petit labrador, comme ça John va courir avec. John c’est son mec apparemment. Orthense, elle explique jamais rien dans ses lettres, mais ça me fait sourire bêtement quand je la lis parce que je l’imagine parler très vite comme ça, en face de moi, une tasse de thé à la main parce qu’elle sait que les Français boivent du thé. Dans mon esprit c’était les Anglais, mais si pour elle c’est les Français et bien soit.
Je ne sais pas trop quoi lui répondre à chaque fois, alors j’écris un peu tout et n’importe quoi. Je lui raconte que je suis avec Ivory dans ma cellule. Que Ivory c’est vraiment un mec rigolo, c’est le genre de gars qui plait tout de suite, t’as envie de discuter avec lui, ou de lui dire de se taire parce qu’il est trop tatillon avec la nourriture. Alors oui, comme dans ma vie il ne se passe rien, je raconte celle des autres, et celui que je vois le plus souvent, c’est Ivory, alors tout d’un coup sa vie me semble super attractive.
_ J'crois que j'dépriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiime...Ah… Peut-être pas tant que ça. Du coup j’écris à Orthense qu’Ivory pense déprimer malgré tout. Pourquoi je ne lui raconte pas ce que je ressens moi ? Parce que je n’y arrive pas.
«
Hm… ? Bah pète un coup, moi j’ai l’impression de déprimer aussi quand je suis constipé. »
Dire des conneries, c’est beaucoup mieux. Et puis de toute façon, je joue tellement le rôle du chef de gang que de temps en temps, c’est bien plus agréable de faire le con. Et je sais qu’avec lui je peux me le permettre, c’est pas comme si il allait me juger non ? Je crois qu’il essaye de dessiner parce que je l’entends déchirer du papier, ou bien c’est le papier qui se déchire tout seul tellement il est insupportable. Du coup j’écris à Orthense qu’Ivory, c’est un peu comme un fils que je n’ai plus et que je vais m’occuper de lui. Du coup, je glisse les lettres sous l’oreiller de ce lit et je me penche par-dessus bord pour voir ce qu’il fait. C’est là qu’il me demande de poser pour lui. J’arque un sourcil, légèrement perplexe.
«
Et je suis un mec potable à tes yeux ? Oh, ça me touche, vraiment. »
Je finis par soupirer et sauter hors du lit dans un bruit sourd. Je suis torse nu, ma combinaison nouée sur mes hanches. J’ai tout le temps chaud faut dire, et j’suis dans ma chambre, j’ai le droit de me balader à poil si je veux, mais j’ai un peu de respect pour mon colloc’ pour une fois, alors j’enfile quand même le bas de la combi. Je reste devant lui, un peu penaud. C’est pas le premier à me demander de poser pendant qu’on me dessine. Des tas l’ont fait dans toutes mes prisons. Au bout d’un moment on s’habitue.
«
Comme ça ? Dis-je en bombant un peu le torse, mains sur les hanches, un petit sourire de vainqueur aux lèvres.
On va vraiment se foutre de ma gueule si quelqu’un passe devant la cellule… »
J’arque un sourcil avant de répondre à la suite de ses questions.
«
Lazare ? C’est quoi ça encore ? »
Me dites pas qu’il a encore adopté un nouveau truc qui mourra dans la semaine, par pitié.